Marche sur mes Yeux, de Serge Michel et Paolo Woods
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L’un est un journaliste suisse, l’autre un photographe de presse reconnu. Tous deux ont bien bourlingué. Tous deux connaissent et aiment l’Iran, pour y avoir séjourné à de nombreuses reprises. Amis, tous deux caressent aussi depuis des années un projet d’écriture à quatre mains sur ce pays. Objectif : rencontrer, analyser et illustrer l’Iran d’aujourd’hui par-delà les nombreux clichés qui circulent, pour donner à voir à l’Occident que tout n’est pas noir dans ce pays… et que la plupart des Iraniens y sont même heureux ! Le titre de cet ouvrage audacieux est évocateur : Iran Felix. Tous deux se mettent alors à sillonner le pays pour photographier et interviewer des Iraniens de tous âges, professions, classes sociales et orientations politiques sur leurs conceptions, parfois inattendues, d’un bonheur à l’iranienne, jusqu’à ce que la « Guidance islamique », méfiante, leur refuse leur visa. S’engagent alors d’âpres discussions, remises de cadeaux et de garanties, aboutissant à des autorisations de territoire pour des séjours de plus en plus courts et surveillés, jusqu’à un silence radio de plusieurs années au cours desquelles les deux compères, laissant jouer le temps en leur faveur, en profitent pour investiguer sur la « Chinafrique »…
Quand la Guidance les autorise enfin à regagner l’Iran en 2009 pour y poursuivre leurs travaux, à peine ont-ils posé le pied sur le sol iranien que la « Révolution verte », ce formidable mouvement populaire de contestation populaire éclate, suivi d’une répression sanglante.
Dans sa spontanéité et sa puissance, cet événement les bouleverse et vient d’un seul coup réorienter toute la perception de l’Iran qu’ils s’étaient construite au fil des années.
La genèse de ce récit éclaire donc tout particulièrement la teneur de cet ouvrage engagé, à mi-chemin entre le récit de voyage et le reportage, tour à tour politique, culturel ou sociétal.
Serge Michel y mêle le récit de sa propre vie sur place, ses considérations personnelles sur l’état de l’Iran, pourquoi et comment le pays en est arrivé là et vers où il se dirige, avec ses nombreuses rencontres aux quatre coins de pays.
Au travers de ces pages, c’est un Iran plein de contradictions, tout à la fois précaire et solide, extrêmement attachant et souvent révulsant qui se révèle.
Souvent effrayant dans sa maîtrise de la manipulation à tous les niveaux, mais fort d’une population pas si endoctrinée que le régime ne voudrait le croire, et qui navigue à vu, gardant la tête hors de l’eau et irrémédiablement fière de son identité millénaire.
La multiplicité des points de vue donne à l’analyse une vraie profondeur, et ouvre le lecteur aux multiples aspirations de ce peuple, qui tricote et bricole sans cesse autour de cette incroyable théocratie.
Les photos de Paolo Woods, réussies artistiquement, sont souvent un brin caustiques et permettent de s’immerger davantage encore dans le récit.
Un voyage qui fait réfléchir, et que je ne peux que chaudement recommander à ceux qui voudraient prendre le pouls de l’Iran de « l’intérieur » !
Editions Grasset, mai 2010
+ 1 pour le "récit écrit par un journaliste" !