Les pieds dans l'eau, de Benoît Duteurtre

Publié le par Caroline

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"Les années glorieuses s'éloignaient suffisamment pour prendre un arrière-goût folklorique. Tout le monde avait oublié le nom de Coty – sauf pour le confondre avec celui d'un parfumeur."

 

J’ai dégusté comme un caramel ce court roman, croquant dans sa drôlerie, doux dans l’évocation de souvenirs d’enfance et un peu amer par la nostalgie qu’il dégage.

A Etretat, terre d’élection de ses étés depuis toujours, le narrateur se remémore René Coty, son arrière grand-père,  et sa descendance, sa famille, cette nuée de « cousines », oncles, tantes et parents, qui tous n’aspirent qu’à la simplicité pour s’extraire de cette bourgeoisie qu’ils jugent surfaite et sans avenir.

Etretat, ses galets, ses belles villas qui progressivement se délabrent, son casino minable et ses estivants pittoresques sont prétexte à se remémorer cette époque surannée et à regarder en arrière vers ces années 1960, celles de son enfance, qui riment avec idéologies : égalitarisme, catholicisme social, confiance dans le futur et liberté pour tous. Il s’agit de progresser,  de changer et se transformer en même temps qu’un environnement dont les codes évoluent, et où les repères d’hier se liquéfient. Malgré tout, le jeune Benoît sent bien que ses parents, peu fortunés, vivent au Havre dans une jolie maison qu’ils doivent à l’ascendance de sa maman, née Coty, tandis que la branche « parisienne », qui a « réussi », les méprise et daigne tout juste les accueillir quelques jours l’été à La Ramée, villa familiale d’Etretat et objet de tous ses rêves de grandeur perdue. De ces rêves de grandeur passée dont ne reste que le folklore auquel Mme Coty, veuve de Monsieur, s'accroche désespérement, ce sera pour le narrateur toute une jeunesse passée à courir après cette fore d'hypocrisie, en vain.

Bien écrit et vraiment drôle, ce roman-chronique d’une bourgeoisie qui a perdu pied se lit avec beaucoup de plaisir. Il alterne les évocations de jeunesse, lucides et souvent désabusées, avec des petits bijoux d’humour social particulièrement grinçant autour des vacances, de la plage ou de la baignade. Aucun travers des vacanciers étretatais d’hier et d’aujourd’hui ne nous est épargné, pour notre plus grand bonheur.

Ainsi de l'immuable rituel de la baignade dans les eaux glacées de la Manche :

"Abrégeons les préliminaires qui constituent, pour cette activité, le moment le plus pénible. Aucune douceur, aucune excitation, aucun frisson d’extase à espérer quand la première vague glacée vient lécher vos orteils. Elle semble plutôt là pour vous faire renoncer, en vous rappelant que, même par beau temps, la mer reste toujours aussi fraîche, très inférieure à la température du corps... Certains courent aveuglément sur les galets, ils descendent la pente en poussant des cris et entrent dans l’eau comme des soldats de 14 se jetant sous la mitraille ; d’autres hésitent longuement et progressent, pas à pas, dans une relation masochiste avec l’élément."

On pense souvent à Sempé ou à Faizant dans ces pages incisives, à l’écriture fluide et très visuelle.

Editions Gallimard, août 2008 et en poche (Folio), mars 2010

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F
<br /> Pour moi aussi une belle découverte que ce livre, lu après voir passé quelques vacances à Etretat...<br /> <br /> <br />
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H
<br /> Une lecture que j'avais aussi bien appréciée..<br /> <br /> <br />
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K
<br /> Je l'ai acheté cet été en Normandie, et lu avec plaisir aussi... L'auteur a une plume alerte !<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> L'extrait que tu donnes est très plaisant, quelle épreuve ces eaux de la Manche !<br /> <br /> <br />
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