La Ballade de Lila K, de Blandine Le Callet
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Dans un futur proche, la petite Lila est enlevée à sa mère par des hommes en noir, qui la confient au « Centre », où elle sera prise en charge par la Commission, sorte d’organe étatique tout-puissant, ultime décideur de ce qui est bon pour chacun. Polytraumatisée, sociale et agoraphobe, Lila ne supporte pas la lumière du jour. Vivant recluse dans ce « Centre » pendant des années, elle ne cesse de chercher à comprendre pourquoi elle y a été conduite, gardant vive la blessure de l’arrachement à sa mère. Elle se lie avec l’impétueux M. Kauffmann, fantasque directeur du Centre, qui l’initie à la littérature, dans un monde où les livres sont considérés comme des objets dangereux à manipuler avec la plus grande précaution, du fait des risques de l’encre pour la santé publique. En réhabilitant l’unique désir de Lila, celui de retrouver sa mère, il prend le risque de tomber dans l’illégalité pour faire naître une nouvelle Lila, qui par de nouvelles rencontres, va affronter les démons de sa filiation, dans un monde pour le moins inquiétant, où les banlieues de la « Zone », au-delà de la « Frontière », sont devenues une zone de non-droit absolu …
J’ai aimé ce roman, bien différent d’Une Pièce montée, précédent et premier roman de Blandine Le Callet que j’avais lu avec beaucoup de plaisir. On y retrouve cependant sa patte, particulièrement dans sa manière de croquer les cynismes et autres petites lâchetés qui nous guettent.
Ce tableau d’une société sous l’emprise du principe de précaution, se prévalant d’un bien-être standardisé pour tous ses habitants et qui dérive invariablement vers le totalitarisme, est saisissant : avortement obligatoire pour toutes les citoyennes n’ayant pas reçu l’aval de la Commission pour avoir un enfant, distribution par l'Etat de sextoys à toutes les jeunes filles de 16 ans, accompagnée de l’obligation de s’en servir a minima deux fois par semaine, surveillance de tous les logements, bureaux et espaces publics par caméra… Chacun n’a plus d’existence que pour, grâce et par l’Etat.
Le personnage de Lila a du relief, et sa quête soulève de nombreuses questions, autour de la mémoire et de l’oubli, du rapport à sa propre histoire ou de la construction de l’individualité dans un monde qui la nie. Parfois loufoque, souvent inquiétante, cette utopie fonctionne bien et je m’y suis immergée avec stupeur.
Editions Stock, septembre 2010